Près de 2 ans sont passés depuis la publication du dernier article sur ce blog qui portait sur l’expression chîzu gyûdon pour le moins assez spécifique. J’ai donc décidé de reprendre l’écriture de petits billets en optant pour un mot japonais en apparence innocent que l’on utilise assez fréquemment dans la vie quotidienne : 取り皿 (torizara). Celui-ci fait référence aux petites assiettes que l’on utilise aussi bien dans les restaurants que chez soi pour partager les plats de cuisine entre chaque convive.
Mais comment expliquer la présence du kanji 取 ? Que peut-on dire sur son usage ? Existe-t-il d’autres termes similaires ?
Analyse de la structure du mot torizara
Oui, j’ai bien conscience qu’en japonais, on peut fabriquer des jeux de mots avec à peu près tout et n’importe quoi étant donné que la panoplie de sons que nous avons à disposition est relativement limitée. Il n’empêche qu’en entendant torizara, je ne peux m’empêcher de penser à une “assiette pour oiseaux” (tori 鳥 signifiant “oiseau” en japonais). Il n’y a strictement aucun lien toutefois et en recherchant 鳥皿 dans un moteur de recherche, on ne trouve aucune tentative de blague. Dommage !
Revenons donc à nos moutons : torizara s’écrit le plus souvent 取り皿 avec la présence de l’okurigana り. Sa première utilisation attestée remonte au 16e siècle selon le Nihon kokugo daijiten. Littéralement, cela signifie “assiette (皿) que l’on prend (取)”, ce qui n’a pas vraiment de sens puisque c’est le lot de toutes les assiettes à priori. Peut-être que la présence de ce kanji 取 vient appuyer le fait qu’on la prend dans la main pour effectuer le partage (ce qui évite d’en renverser partout entre autres).
Voici la définition du dictionnaire Kôjien qui me paraît bien : “料理などを各自に取り分ける小さな皿。Ryôri nado wo kakuji ni toriwakeru chiisa na sara.“. Traduction : “Petites assiettes pour partager des mets entre chaque personne”. Vous remarquerez la présence du verbe 取り分ける (toriwakeru = “partager/distribuer”) qui permet d’arriver à l’interprétation “assiette de partage“. C’est mon dernier mot !
Petite remarque sur l’usage de ce terme japonais au restaurant
Imaginons-nous maintenant assis à la table d’un restaurant à laquelle le serveur a malencontreusement oublié de disposer des assiettes de partage. S’il s’était agi de baguettes manquantes, vous auriez pu dire お箸ください (o-hashi kudasai). De même pour le thé, お茶ください (o-cha kudasai) passe tout naturellement. Par contre, お取り皿ください (o-torizara kudasai) sonne faux et vous pourrez le confirmer auprès de connaissances japonaises. La raison invoquée par un intervenant sur Yahoo Chiebukuro porte sur la structure du mot et plus particulièrement la place d’un verbe à la forme conjonctive (取り) au début.
Par conséquent, vous devrez dire soit お皿ください (o-sara kudasai) soit encore 取り皿ください (torizara kudasai) si vous tenez absolument à utiliser ください. Après évidemment, les plus polis et distingués d’entre nous diront 取り皿を頂けないでしょうか (torizara wo itadakenai deshô ka), même si c’est bien plus long. Retenez en tout cas qu’il faut se méfier avec ce préfixe -o/go qui est bien plus fourbe qu’il n’y paraît de premier abord.
Quelques termes autour de torizara pour finir en beauté
Vu que notre torizara ressemble à n’importe quelle petite assiette, on peut utiliser à la place 小皿 (kozara). Ce dernier terme se concentre cela dit exclusivement sur la taille alors que torizara porte davantage sur la fonction de l’assiette, celle du partage. Cet article de blog spécialisé en assiettes précise par ailleurs qu’une kozara fait de 12 à 15 cm de diamètre, ce qui la distingue d’une 中皿 (chûzara, 15 à 24 cm) et d’une 大皿 (ôzara, plus de 24 cm). Pour l’anecdote, la plus petite assiette est la 豆皿 (mamezara “assiette haricot”) avec son diamètre inférieur à 9 cm.
Dans les faits, on peut dire qu’une torizara peut correspondre à une mamezara, à une kozara voir à une chûzara si on aime l’inclusivité. 豆皿を取り皿として使う (mamezara wo torizara to shite tsukau) : utiliser une mamezara en tant que torizara. Cette phrase directement tirée de l’article ci-dessus permet de bien comprendre que c’est sa tendance gauchiste qui fait l’essence de cette assiette (héhé). En autres “assiettes fonctionnelles”, on trouve la 薬味皿 (yakumizara “assiette à condiments”) et la 醤油皿 (shôyûzara “assiette à sauce soja”) pour info.
Je finis cet article par un “vrai” synonyme qui est toutefois peu employé : 銘々皿 (meimeizara). Comme meimei signifie “chacun (des convives)”, l’idée derrière est à peu près la même. Ce billet de blog précise qu’on l’emploie en particulier pour les petits gâteaux japonais (wagashi) servis lors de la cérémonie du thé par exemple. Voilà, ça fait beaucoup de nouveaux mots, mais quand on aime hein… (-^〇^-)
10 réponses
Ça alors, un mot de Kotoba au réveil, après une si longue absence, quelle excellente surprise !
Bonne reprise et bonne continuation !
Je vois que le système de notification fonctionne encore, merci pour le commentaire ! 🙂
C’est une sacrée bonne nouvelle que tu nous annonce là ! Kotoba n’a donc pas dit son dernier mot !
Merci pour cet article inattendu, et au plaisir de te lire à nouveau.
Post scriptum, petite coquille dans l’avant dernier paragraphe, tu transcris 豆皿 par kozara
Merci pour avoir détecté cette coquille, c’était pour voir si vous suiviez héhé. Je vais la corriger de ce pas 😉
comme le soleil reviens, un billet de Kotoba illumine notre parcours linguistique du japonais.
Arrête, tu me mets la pression là ! oO
Quel plaisir de vous relire !
Hey, salut Guilhem, ma dernière visite remontant aux calendes japonaises, je n’avais pas remarqué que tes posts s’étaient ratifiés…
Ravi en tout cas de te retrouver ce matin.
J’avoue n’avoir pas compris ce qui te fait dire que la petite assiette est gauchiste, mais je remarque, même si cela n’a aucun rapport, qu’en France, la petite assiette qui accueille le pain se place à la gauche du convive…
Sylvain
Coucou Sylvain, ça fait un bail !
Pour l’assiette gauchiste, c’était juste en rapport avec le fait qu’on utilise les torizara pour partager un plat entre plusieurs personnes. Et comme on aime dire que le partage des richesses (culinaires :D) est une valeur de gauche, ça fonctionne ! Non ? Les droitards, eux, se prennent une énorme assiette pour chacun. On pourra d’ailleurs l’appeler en japonais la セルフィッシュ皿. 🙂
Bien vu sinon pour l’assiette de pain à gauche, en plus, on partage un pain entre plusieurs personnes en temps normal… Décidément ! 😀