Si vous aimez les films ou les jeux vidéo d’horreur japonais, il est très probable que vous soyez déjà tombé sur le nom commun noroi (呪い). Pouvant se traduire par “malédiction” ou encore “maléfice”, celui-ci ne présente pas de difficulté particulière en principe. Néanmoins, comme son étymologie est intéressante, je me suis dit qu’il méritait tout de même un article. Et comme je suis généreux, vous aurez aussi droit à une petite mise au point sur ce à quoi il renvoie aujourd’hui !
Étymologie du mot noroi
Une fois n’est pas coutume, je vais m’en remettre au dictionnaire Nihon kokugo daijiten pour décrire l’étymologie de ce mot étant donné que c’est celui qui donne le plus d’infos. Déjà, ce qui est à peu près certain, c’est qu’il dérive directement du verbe 呪う (norou) que l’on peut traduire par “maudire/exécrer”. 世間を呪う (seken wo norou) : maudire le monde. Pour être plus précis, il s’agit de la forme suspensive du verbe (連用形 renyôkei) qui s’est par la suite nominalisée (名詞化 meishika). Un peu comme asobu–>asobi (jouer/jeu).
Mais la vraie question concerne la formation de ce verbe norou. Selon toute vraisemblance, il proviendrait d’un autre verbe que vous connaissez peut-être : noru. Attention, pas celui qui signifie “monter” (乗る) ni celui voulant dire “figurer sur/être mentionné dans” (載る). Le Nihon kokugo daijiten cite 宣る/告る avec le sens de “dire/déclarer“. Aujourd’hui, ces graphies pour le verbe noru ne sont plus vraiment utilisées, mais on retrouve tout de même cette signification “dire” dans 名乗る (nanoru “dire son nom”).
Toujours est-il que contrairement au verbe 言う (iu “dire”) qui se voulait neutre, 宣る (noru) faisait surtout référence au VIIIe siècle aux déclarations lourdes de sens. C’est-à-dire des propos que l’on ne tenait pas en temps normal et le dictionnaire japonais va même parler de 呪力 (juryoku “pouvoir mystique/incantatoire”). Vous remarquerez que le kanji de noroi (呪) est présent dans ce dernier mot. La boucle est donc bouclée ! (*´∀`*)
Les malédictions dans la culture japonaise
Je ne vais pas établir ici la liste de toutes les pratiques entraînant une malédiction au Japon puisqu’il en existe plus d’une vingtaine. Difficile néanmoins de ne pas mentionner le 丑の刻参り (ushi no koku mairi) que l’on traduit généralement par “visite du sanctuaire à l’heure du bœuf”). Sachant que l’heure du bœuf est entre 1h et 3h du matin (après l’heure du rat qui est entre 23h et 1h), cette pratique s’effectue donc en pleine nuit dans un sanctuaire shinto. Pour résumer cela brièvement, une femme est chargée de planter des clous dans une 藁人形 (wara-ningyô), c’est-à-dire une poupée de paille.
Notez que les clous présents sur cette illustration sont particuliers et qu’on les appelle 五寸釘 (gosun kugi) de par leur taille de “5 sun“, autrement dit 15,2 cm. Heureusement, pour contrecarrer la malédiction, il existe le procédé du 呪い返し (noroigaeshi “renvoi de malédiction”). On peut utiliser pour cela une coupelle de sel à placer à l’entrée de la maison (盛り塩 morishio), des お守り (omamori “portes-bonheur”)…
Dernière chose qui semble revenir souvent : peut-on être condamné au Japon en effectuant un maléfice sur quelqu’un ? La réponse est évidemment non lorsque la personne concernée n’est pas tenue au courant puisqu’on ne peut établir de lien de cause à effet entre une malédiction prononcée et ce qui advient par la suite. Par contre, si vous montrez la poupée en paille à la victime et que vous lui indiquez que vous allez planter des clous, cela peut être considéré comme de l’intimidation (脅迫罪 kyôhakuzai).
Bon, et accessoirement, si vous entrez par effraction dans un sanctuaire et que vous plantez une poupée en paille sur un arbre sacré, vous risquez aussi d’être arrêté. C’est en tout cas ce qui est arrivé à un homme japonais de 72 ans en 2022 qui en voulait apparemment à Poutine. Cela n’a vraisemblablement pas fonctionné en plus… (´ω`*)
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