En français, on utilise l’adjectif “sombre” pour décrire un lieu peu éclairé ou encore une couleur foncée dans une moindre mesure. Dans un sens plus abstrait, il fait aussi référence à la tristesse/mélancolie (“avoir les idées sombres”), à l’inquiétude (“avenir sombre”) et tout ce qui n’est pas positif. J’ai d’ailleurs une pensée pour notre pauvre Gaston Lagaffe qui se voit traité de “sombre idiot” par Fantasio, et ce, dès le premier tome (oui, je suis fan de la série). Dans quelle mesure le terme japonais 暗い (kurai) peut-il être associé à cette notion de “sombre” ?
Sens étymologique du mot kurai
Difficile de trouver des informations sur l’étymologie de kurai étant donné que ce mot existait déjà à l’oral avant les premiers écrits japonais que nous avons à disposition. À l’époque (début du VIIIe siècle), il ne s’écrivait d’ailleurs pas encore avec le kanji 暗, mais en man’yōgana (kanjis sélectionnés principalement pour leur prononciation). Exemples : 時草昧 (kuraki), 方闇蔽 (kuraku)… Ah, je précise au passage que sa forme ancienne est kura(ki/ku/shi).
Un petit mot quand même sur le kanji 暗 : la partie de gauche 日 représenterait le soleil, tandis que l’élément 音 serait là pour donner la prononciation an. Le Shinkangorin (dictionnaire de kanjis) précise aussi que 音 s’interpréterait avec le sens “nuageux” et quand le soleil est caché par les nuages… Il fait sombre, oui. Bon, et notre sens étymologique japonais alors ? Je vais vous en donner trois, c’est-à-dire ceux remontant au début du VIIIe siècle :
- “Qui n’est pas lumineux, qui est peu éclairé” = sombre.
- “Qui n’a pas les capacités de comprendre les choses et d’émettre un jugement éclairé. Sot/stupide (おろか oroka dans le texte)” = qui n’est pas une lumière = sombre idiot (fallait bien que je le place lui ! ಥ‿ಥ).
- “Période où la civilisation ne s’est pas encore développée”. Cela fait référence ici à l’avant Amaterasu, la divinité qui a apporté le soleil et la lumière.
Seul le premier sens est encore valable aujourd’hui, le second ayant évolué en quelque chose de plus “soft”. Voyons ça tout de suite !
Significations de kurai aujourd’hui
De nos jours, on peut dire que kurai peut être employé avec tous les sens de “sombre” que j’ai décrits en introduction. Un couloir sombre se dit ainsi 暗い廊下 (kurai rôka) et quand il fait “encore sombre” dehors, on pourra dire 外はまだ暗い (soto ha mada kurai). Donc que ce soit un manque de lumière naturelle ou artificielle, ça marche. Même chose pour les couleurs : “vert sombre” peut très bien s’écrire 暗い緑色 (kurai midori iro) en japonais.
Et pour les sens abstraits, on retrouve bien cette même négativité qu’évoque la sombreur. Quelqu’un désigné comme kurai, c’est donc une personne plutôt pessimiste et triste. 本当に暗い人だな (hontô ni kurai hito da na) : “Tu es vraiment quelqu’un de morose”. Je n’ai pas besoin de vous préciser que cela fonctionne enfin pour tout ce qui concerne un avenir inquiétant. 彼の前途は暗い。 (kare no zento ha kurai) : “Ses perspectives d’avenir sont peu emballantes”.

C’est là que notre sombre idiot entre en jeu. Enfin, celui qui s’estime ignorant dans un domaine. J’ai été moi-même surpris qu’on utilise apparemment souvent l’expression japonais に暗い (ni kurai) dans ce but. 日本の歴史に暗い。 (nihon no rekishi ni kurai) : “Je suis ignorant en histoire du Japon”. C’est donc le contraire de 詳しい (kuwashii) dans ce contexte. Pour l’anecdote, on peut aussi employer 明るい (akarui “éclairé”) avec cette même structure et la différence avec kuwashii est d’ailleurs assez ténue. On en reparlera peut-être dans un prochain article ! 😉