Le japonais dans tous les sens

Tachiyomi (立ち読み) : la pratique de “lire debout”, signe de crise ?

En France, feuilleter un journal ou un magazine est très mal vu voir interdit. Certains libraires n’hésitent pas à le rappeler à leurs clients et en règle général, personne n’y trouve rien à redire. On estime en effet qu’on doit payer ce qu’on a consommé, cela semble relever du bon sens. Cependant au Japon, la pratique est beaucoup plus courante et elle a même un nom : tachiyomi (立ち読み). En quoi fait-elle débat et comment expliquer son existence ?

Définition du mot tachiyomi

Tachiyomi s’écrit en japonais 立ち読み où  tachi 立ち signifie “être debout” et yomi 読み “lire/lecture”. Littéralement, cela donne ainsi “lire en étant debout”. Ceci est lié au fait qu’on est la plupart du temps obligé de lire debout dans un konbini ou une librairie. Plus largement donc, elle désigne avant tout l’acte de feuilleter un livre/magazine avec l’intention ou non de l’acheter.

Car même si on s’assoit pour lire dans une librairie (il y a parfois des endroits prévus), on emploiera toujours ce même terme de tachiyomi. Et non suwariyomi (座り読み) “lire assis” par exemple. Par ailleurs, certaines boutiques de livre en ligne se sont emparés de ce terme. En effet, pour lire un échantillon du livre en question, il suffit de cliquer sur le bouton tachiyomi. Un peu bizarre mais on s’y fait ! 🙂

Lire debout en magasin, une coutume controversée

Beaucoup de japonais s’insurgent contre cette pratique. Cela abîme les ouvrages, le passage est parfois obstrué par des groupes de personne qui font en plus du bruit et gênent les autres. Et par dessus le marché, la plupart des japonais qui font du tachiyomi n’auraient dés le départ aucune intention d’acheter quoi que ce soit. La preuve, une boutique aurait vu son chiffre d’affaire augmenter de 20% en enroulant chaque livre d’un cordon. On utilise aussi du film plastifié pour enrayer le phénomène.

On trouve cela dit des argument en faveur du tachiyomi. D’une part, la présence de clients dans une boutique crée un effet positif qui en attire d’autres. Cet “effet mouton” est aussi utilisé dans la restauration (fausse queue, etc). D’autre part, quand il y a un peu de monde dans le magasin, cela aurait un effet dissuasif contre les criminels et délinquants. Cela vaut surtout pour les konbini qui sont ouverts 24h/24. Des arguments qui peuvent paraître faibles donc mais qui ont le mérite d’exister !

Ce genre de scène est plutôt banale au Japon. Il était apparemment minuit dans ce konbini. oO

Les raisons du tachiyomi en chiffres

Avant de vous donner des chiffres sur l’ampleur du phénomène, j’aimerais rappeler une chose essentielle. Au Japon, il est tout à fait accepté de toucher la marchandise avant de l’acheter. C’est en tout cas beaucoup plus toléré qu’en France. L’une des raisons est que la position du client n’est pas la même, il est plus qu’un roi (pour reprendre l’expression française). On dit en effet o-kyaku-sama ha kami-sama desu (お客様は神様です) “le client est dieu”.

De fait, il n’est pas si étonnant de constater que lire debout en toute impunité soit si courant. On a du mal effectivement à imaginer un vendeur annoncer à un client “pourriez vous arrêter de lire s’il vous plaît ?”. Et les affiches d’avertissement ne sont pas très dissuasives. Je vais m’appuyer maintenant sur un sondage réalisé en 2004 qui tentait de quantifier le tachiyomi.  Celui-ci se base sur un échantillon de plus de 3000 japonais de tout âge.

A la question “A quelle fréquence faites vous du tachiyomi”, ils sont seulement 50,2% à répondre “je n’en fais jamais”. Plus surprenant encore, 27% affirment lire une revue ou plus par semaine avec ce procédé ! On observe toutefois de grandes disparités en fonction de la tranche d’âge : pour les jeunes hommes de 18-24 ans, ils sont environ 50% à lire plus d’un ouvrage par semaine debout alors que le chiffre tombe à 12,6% pour les plus de 50 ans. Pour les femmes, on passe de 38,2% à 19,3%.

On peut donc penser que c’est pour des raisons économiques, les jeunes étant en général moins fortunés. Dommage qu’on ne puisse pas trouver de chiffres plus anciens pour voir si l’éclatement de la bulle de 1990 a un lien direct ou non. Je suis cependant tombé sur un sondage réalisé sur internet plus récent (2014, panel de 2906 individus de 20 ans et plus) avec une question intéressante : lorsque que vous êtes à l’extérieur et que vous avez 30 minutes à tuer, que faites vous ? La première réponse (50,1%) est “du tachiyomi dans une boutique”. Signe que c’est vraiment devenu un passe temps à part entière, dingue non ?

Sources : ja.wikipedia (généralités), markth.jp (sondage de 2004), asahigroup (sondage de 2014)

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