Le japonais dans tous les sens

Critique du livre 40 leçons pour parler japonais

Table des matières

Quand j’ai commencé le japonais il y a 15 ans en 2006, les ressources pour apprendre la langue japonaise étaient encore très limitées. On peut dire que c’était un peu le néant sur le net et il était alors nécessaire d’acquérir un manuel papier. Vu que j’étais un total débutant, je me suis dirigé vers un manuel bon marché et au titre équivoque : “40 leçons pour parler japonais” de la collection “Langues pour tous“. À l’époque, le manuel était fourni avec 4 cassettes et 2 cd pour pouvoir s’exercer à la compréhension orale. L’édition que je vais critiquer ici est celle de 2003 et il existe une édition plus récente (2009) qui est sensiblement identique (correction de coquilles principalement).

Mon but ici est avant tout de vous décrire le manuel de la manière la plus pertinente possible afin que vous jugiez s’il peut vous convenir ou non. Pour cela, je vais d’abord rappeler la démarche et l’objectif visés par ses auteurs puis je présenterai ensuite la méthode pratiquée en faisant aussi des remarques sur le contenu (naturel du japonais employé, choix du vocabulaire…). Et enfin, vous aurez droit à une vraie conclusion rappelant les points négatifs et positifs de l’ouvrage ! 🙂

C’est mon exemplaire de 2003 qui a pas mal vécu oui… ^^

1) Description de l’ouvrage par ses auteurs et cible visée

40 leçons pour parler japonais est décrit dés le départ comme un “outil d’auto-apprentissage complet et tout-en-un“. Sur ce point, je suis plutôt d’accord car j’ai pu moi-même arriver jusqu’au bout de l’ouvrage sans aide extérieure à 15 ans. Donc normalement, si vous suivez bien les “instructions codées” à la lettre (je reviendrai par la suite sur ce que j’entends par “code”), vous ne devriez pas rencontrer de problème particulier.

Autrement, ils justifient l’appellation “tout-en-un” par une série d’arguments tels qu’ “une série d’exercices calibrés avec corrigés”, “des tests permettant de mesurer les acquisitions” ou encore “un ensemble de repères géographiques, historiques et culturels pour mieux connaître le Japon”… Bref, ils essaient de brosser assez large pour celui qui ne connaît ni le japonais, ni les Japonais ni le Japon puisse s’y retrouver sans être perdu. Bon par contre ils oublient l’expression écrite et orale dans leur “tout-en-un” mais c’est difficile de demander ça à un manuel papier sans correcteur humain (même si ça reste théoriquement possible en proposant des corrections type par exemple).

Toujours selon les auteurs, cet ouvrage s’adresse “en premier lieu à ceux qui commencent à zéro” l’étude du japonais. C’est-à-dire que même si vous ne connaissez pas vos kanas (et encore moins les kanjis évidemment), vous ne serez pas déboussolé puisqu’on vous propose de les apprendre en même temps que la grammaire et le vocabulaire. C’est d’ailleurs une des originalités de 40 leçons pour parler japonais puisque très souvent, on demande d’apprendre à lire les katakanas/hiraganas avant d’attaquer le vif du sujet. On va voir à ce sujet que c’est à la fois un point fort et un point faible.

Page “avant-propos” suivie d’une présentation du plan des leçons et de conseils.

Enfin, ils indiquent dans cet avant-propos que 40 leçons pour parler japonais vise aussi les personnes qui n’ont pas fait de japonais depuis longtemps ou qui n’ont pas bénéficié d’un apprentissage suffisamment structuré (avec des connaissances éparses sur la langue via des animés par exemple). Il est vrai que les 4 tests de contrôle (un test toutes les 10 leçons) permettent de vérifier sommairement où on se situe et de ne revenir que sur les notions qui posent problème. D’un autre côté, celui qui ne connaît pas le langage codé de ce manuel peut faire des fautes durant le test sans que ce soit lié à sa maîtrise du japonais. Vous allez comprendre où je veux en venir !

2) Structure des leçons de 40 leçons pour parler japonais et méthode employée

Comme je l’ai indiqué dans la première partie, 40 leçons pour parler japonais vous propose d’apprendre chaque syllabaire (hiragana de la leçon 1 à 10 puis katakana de la leçon 11 à 20) en même temps que le reste. Durant chaque leçon, il vous est alors demandé de maîtriser 6 nouveaux caractères saufs pour les leçons 10 et 20 qui résument tout ce qui a été vu. Cela a une conséquence directe sur le contenu puisque seuls les mots de vocabulaire contenant des caractères déjà étudiés sont présentés. Par exemple, la première leçon vous invite à apprendre les hiragana あ,な,た puis わ,し,ち. Vous aurez ainsi à apprendre les mots あなた (anata traduit par toi), わたし (watashi traduit par moi) ou encore あなたたち (anatatachi traduit par vous).

Mais avant de donner mon avis sur la question, j’aimerais d’abord vous décrire la structure d’une leçon type afin de vous situer un peu mieux.

A) Plan des leçons de 40 leçons pour parler japonais

Chaque leçon débute de la même manière : on vous présente sur la page de gauche plusieurs nouveaux caractères (des kanas puis des kanjis à partir de la leçon 21), on vous donne les mots de vocabulaire contenant ces caractères (ou ceux déjà étudiés dans les précédentes leçons) puis un petit exercice d’application (transcription des caractères en rômaji souvent).  La page de droite contient quant à elle des remarques et explications (prononciation, grammaire…) sur ce qui vient d’être présenté. Ensuite rebelote sur les deux prochaines pages (présentation/remarques) et on arrive à la partie exercices.

Voici la première leçon et votre premier mot : あなた (anata).

Que dire de cette partie exercices ? Eh bien en dehors des exercices de transcription (rômaji vers kana ou kana vers rômaji) proposés durant les premières leçons, c’est toujours de la traduction (français vers japonais) et version (japonais vers français). Le corrigé ne propose à chaque fois qu’une seule réponse possible, ce qui est un indice sur la méthodologie employée (j’y reviens par la suite). Quoi qu’il en soit, il va falloir que vous aimiez la traduction répétitive si vous voulez aller au bout de l’ouvrage ! ^^

Partie exercice avec corrigé en dessous.

Enfin, la leçon se termine par une partie vie pratique/civilisation (géographie du Japon, données historiques, pratiques culturelles…) qui sera sous forme de dialogue dés la leçon 6. Chaque dialogue est traduit en français avec des remarques utiles sur l’emploi de certains mots. Concernant ces dialogues, si on retire leur côté un peu “cul cul la praline” et superficiel du type “Yamada, c’est quoi ta nourriture favorite ? J’aime le poisson et toi. Moi j’aime la viande mais je mange aussi des légumes. Bon, à la prochaine !”, c’est le seul moment où vous pourrez profiter d’un japonais naturel. On ne peut pas en dire autant de la traduction française (mention spéciale au “je fais du petit job ou du voyage” à la leçon 24). (・ω・)b

Dialogue de la leçon 7 avec des infos linguistiques et culturelles.

B) La méthode “grammaire et traduction” et ses limites

En didactique des langues, on classe sans aucune hésitation 40 leçons pour parler japonais dans la catégorie “méthode grammaire et traduction“. Il n’y a en effet que des exercices de traduction (sauf les tests de contrôle qui sont des QCM) et l’approche est entièrement centrée sur une grammaire décontextualisée. On vous donne par exemple au tout début une série de pronoms personnels (watashi, anata, kare, kanojo…) sans aucun exemple d’utilisation concrète dans la vie réelle. Mais le plus grave à mon sens, c’est qu’il n’est précisé nulle part que les pronoms personnels sont facultatifs. Logique parce que ça voudrait dire qu’une même phrase pourrait avoir plusieurs traductions différentes. Horreur ! (〃ω〃)

Car finalement ce que les auteurs attendent de vous, c’est que vous considériez qu’un mot d’une langue A contient son exact équivalent (ou presque) dans la langue B. Ils décident au début que anata = toi/tu, ça sera le cas tout le long de l’ouvrage. Donc s’ils vous demandent de traduire “tu viens avec ton vélo” en japonais, il faudra opter pour “あなたはあなたの自転車で来ますか” (anata ha anata no jitensha de kimasu ka). Cette phrase est certes grammaticalement correcte mais ne sortira jamais de la bouche d’un Japonais (qui dira plus simplement jitensha de kimasu ka ?). De même, pour les mêmes raisons de facilité lors de la correction, les auteurs décident au départ que と (to) = “et” et や (ya) = “et (entre autres)”. C’est vrai si on grossit le trait mais ce n’est pas faux de traduire や par simplement “et”. Sauf que si vous avez opté pour cette solution dans le premier QCM où il faut choisir la bonne particule, ce sera considéré comme incorrect.

Toujours dans cette même logique de grammaire décontextualisée, il n’y a aucune explication sur les mots de vocabulaire (adjectifs, verbes et noms communs) présentés en dehors des dialogues. Une traduction (deux maximum) et puis c’est tout. Cela ne pose pas de problème quand ça désigne des éléments concrets (pomme, trousse…), ça l’est déjà plus quand il s’agit d’adjectifs un tant soit peu abstrait. Par exemple, ゆうかん (yûkan) est présenté dés la leçon 8 avec le sens “brave”, bon courage pour le réutiliser ! Pour info, on l’apprend plutôt pour le JLPT N2/N1. Mais bon, comme il fallait bien présenter un adjectif en na qui contienne les caractères étudiés jusqu’à la leçon 8, c’est tombé sur lui. (´・ω・`)

Exemple d’une liste de mots de vocabulaire qu’on vous donne à apprendre sans explications.

Je passe sur le “verbe” です (desu) associé au verbe “être” sans aucune mise en garde. D’une part on considère plutôt です comme une copule (pas un verbe en tout cas) et d’autre part, le traduire par “être” est assez risqué (confusion avec les adjectifs, forme verbale ないです…). Mais bon, comme il fallait forcément introduire le verbe être, les auteurs ont considéré que le bon candidat était です. Pour résumer, le japonais dans 40 leçons pour parler japonais est le plus souvent enseigné en partant la logique du français.

3) Conclusion

Malgré mon ton un peu dur sur la fin, je ne jetterais pas 40 leçons pour parler japonais à la poubelle pour autant, loin de là. Il faut néanmoins être conscient qu’en-dehors des dialogues de fin de leçon ponctuées d’explications culturelles, vous ne serez pas ou alors très peu exposé à un japonais naturel. Dommage d’ailleurs que ces dialogues ne soient pas vraiment exploités puisqu’on ne vous posera aucune question dessus. On ne vous demandera pas non plus d’apprendre le vocabulaire des différentes répliques pour la suite. Cela donne vraiment l’impression qu’ils ont été ajoutés sur le tard, il faut donc les voir comme un bonus.

De même, on pourra regretter ce choix de ne proposer que des exercices de traduction. Le but inavoué étant donc simplement d’appliquer ce qui a été vu en cours et non d’apporter une réelle réflexion sur la langue. D’ailleurs à propos des 4 tests de contrôle qui ponctuent l’ouvrage qui ont sous forme de QCM de 10 questions, l’exercice consiste en réalité à “compléter la traduction japonaise”. Car la traduction française est indiquée au-dessus de la phrase à trous en japonais que vous aurez à remplir le plus souvent par une particule. Or au JLPT, tout est en japonais et cela mesure plus en profondeur votre maîtrise de la langue puisqu’il faut comprendre les informations contextuelles pour faire le bon choix.

Test de contrôle qui devrait s’appeler “compléter la traduction japonaise”.

MAIS en dehors de ces points négatifs, il faut reconnaître que 40 leçons pour parler japonais est agréable à parcourir pour un débutant. Les explications manquant certes de nuances sont claires, les leçons sont bien présentées, les références culturelles loin d’être inintéressantes… Si vous avez besoin d’être rassuré avec un manuel qui ne vous prendra jamais par surprise (il suffit d’appliquer le cours), je pense que ce livre peut vous convenir. Il ne vous permettra pas paradoxalement de “parler japonais” (je dirais plutôt “se faire comprendre”) mais vous serez en mesure à la fin d’appréhender la plupart des points grammaticaux nécessaires pour le JLPT N5.

Et c’est là-dessus que je vais terminer : bien qu’il soit indiqué “niveau B1” (= JLPT N3 en gros) dans la nouvelle édition de 2009, n’espérez pas obtenir plus qu’un niveau quasi-JLPT N5 (A1). Pour info, vous verrez à la fin la forme en te-imasu, la forme accomplie polie (mashita) et la forme potentielle (reru/rareru). Pas de proposition relative par exemple (exemple : 私が撮った写真 watashi ga totta shashin = “la photo que j’ai prise”) par contre.

Pour le vocabulaire, il faudra nécessairement approfondir puisque beaucoup de traductions sont données sans contextes suffisamment précis. Il y a aussi des termes courants (exemple de うるさい urusai = bruyant) non abordés mais nécessaires pour le JLPT N5. Et je ne parle pas de la compréhension écrite et orale qu’il va falloir forcément retravailler aussi puisque vous n’êtes jamais réellement interrogé sur vos facultés de compréhension dans 40 leçons pour parler japonais.

Points positifs :

  • agréable à parcourir de par sa présentation claire et ses explications simples
  • accessible pour quelqu’un qui n’a jamais été en contact avec le japonais et qui souhaite travailler seul
  • repères culturels en fin de leçons plutôt intéressants

Points négatifs :

  • méthode “grammaire et traduction” qui a ses limites (propositions décontextualisées et souvent peu naturelles, côté rébarbatif de la traduction…)
  • dialogues et données culturelles pas assez exploitées (aucune question posée)
  • manque de précisions sur l’usage des mots donnant par exemple l’impression que les pronoms personnels sont quasi-obligatoires en japonais
  • Niveau espéré bien en dessous de celui annoncé (A1 vs B1)

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