Il existe plusieurs mots pour désigner la famille en japonais. Il y en a un qui veut dire en plus “maison”, il s’agit de ie (家). Comment ça se passe en situation ? Quelle est la tendance concernant l’immobilier au Japon ?
Petite histoire et usage du mot ie en contexe
Le terme ie est très ancien (on en retrouve les premières traces dés le VIIIème siècle) et a vu son sens évoluer avec les époques. Au départ signifiant concrètement “la maison”, il a rapidement désigné également la famille avec une référence directe ou indirecte à l’habitat. C’est véritablement vers la fin du XIXème siècle que la naissance d’un concept ie comme forme japonaise de la famille a vu le jour.
Aujourd’hui, le mot japonais ie a gardé cette ambiguïté et il faudra alors bien saisir le contexte pour trancher entre “maison” et “famille”. Regardons ensemble ces deux phrases :
- ashita ha ie ni imasu. (明日は家にいます。) “demain, je suis chez moi“. Voici un usage très fréquent où on peut voir que notre mot du jour peut aussi vouloir dire le chez soi. Il ne nécessite pas l’emploi de watashi no (ma/mon), ça serait lourd et peu naturel dans cette situation.
- gakusha no ie ni umareru (学者の家に生まれる) “naître dans une famille de savants”. Ici, on voit que toute la lignée est concernée, on pense donc également aux ancêtres et non uniquement à la famille nucléaire. Par ailleurs, si on a de l’imagination, cette phrase peut signifie toute autre chose, à savoir “naître dans la maison d’un savant”. Original mais pas impossible ! 😀
Les japonais et l’achat d’une maison
Lorsqu’on pense à ie au Japon, on a soit en tête la manshon (マンション) qui est un petit immeuble résidentiel/copropriété soit la ikkodate (一戸建て), la maison individuelle. Selon un sondage réalisé sur internet en début 2016, c’est la propriété individuelle qui a le plus du succès. 45,8% des sondés ne jurent que par elle contre seulement 17,3% pour la copropriété, le reste n’ayant pas de préférence.
Aussi, 52,8% des sondés privilégient la construction de leur futur habitat par un professionnel plutôt que d’acheter un bien déjà existant. Mais si on regarde par tranche d’âge, on remarque que 84,8% des 20-29 ans gardent dans un coin de la tête l’achat d’un habitat d’occasion. Il faut dire qu’au Japon, les biens immobiliers perdent beaucoup de valeur avec le temps, cela revient donc en général plus cher de faire construire.
Sources : japethno.info (gros pdf sur la famille dans le Japon moderne et contemporain), batiactu (sondage sur l’achat d’un maison)
8 Responses
Quelle différence avec “uchi”?
Alors la principale différence entre les deux est que “ie” est plus concret (maison alors qu’avec uchi, on a aussi une dimension psychologique/intime avec le sens “chez moi/dans ma famille”.
Par exemple, “uchi de ha jibun no heya ha jibun de sôji suru koto ni natteimasu (ウチでは自分の部屋は自分で掃除することになっています。) : chez moi (dans ma famille), chacun nettoie sa chambre soi-même.
Ici, uchi ne peut pas être remplacé par ie. En fait, il faut retenir qu’avec ie, on est beaucoup plus proche aujourd’hui du sens de “maison” que de “famille”.
Donc si on dit “construire une maison”, on emploiera plus facilement ie wo tateru (家を建てる) que uchi wo tateru. Ce dernier n’est pas impossible cela dit mais on a davantage le sens de “construire son chez soi”. Sinon, si vous voulez dire “je rentre chez moi”, ie/uchi ni kaeru sont tous les deux possibles.
Bonjour, a-t-on une explication de l’utilisation de ce kanji pour désigner la maison? Le cochon sous un toit était chose courante et représentait peut-être plus clairement l’endroit où l’on vit? Merci par avance.
C’est vrai que j’aurais pu faire une explication sur le kanji, j’en faisais encore rarement à l’époque. ^^
Effectivement, on décompose en général ce kanji avec 宀 (le toit) + 豕 (cochon/sanglier).
Apparemment à l’origine, cela désignait plutôt un bâtiment sacré où on donnait en sacrifice un animal comme le cochon.
C’est l’explication la plus couramment citée (notamment dans mon dictionnaire étymologique des kanjis shin kangorin) mais il existe aussi d’autres alternatives où on fait mention du cochon en tant qu’animal domestique.
Bref quoi qu’il en soit, il ne faut pas oublier que les kanjis sont nés (pour la très grande majorité) en Chine. Quand on les a importé au Japon, le mot “ie” existait déjà donc il a fallu trouver un kanji qui corresponde au mieux à ce concept. De ce que j’ai lu dans mon dictionnaire sur l’évolution des mots, le “ie” ne désignait pas en tout cas à l’origine l’habitat d’une seule famille, il y avait plus une dimension collective. Le sens “les gens qui vivent dans cet habitat” (famille/tribu) serait apparu assez rapidement (vers le 8ème siècle).
Merci pour les précisions. Aujourd’hui ce kanji a a priori le même sens en chinois et en japonais. Il y a-t-il des significations de Kanji qui ont beaucoup divergé du sens originel emprunté aux chinois? Globalement ils ont voulu reprendre les mêmes idéogrammes pour les mêmes idées, mais dans le lot il doit y avoir des “râtés”, non?
La question est bonne et tu n’es pas le seul à te l’être posée (on avait eu une petite discussion récemment sur le forum Japon de jv.com).
Comme je n’ai moi-même aucune connaissance en chinois, je ne peux que faire confiance à un intervenant étudiant le japonais/chinois et qui a dit que s’il y avait des différences, elles étaient rares et minimes.
Si on part du fait que ce postulat est vrai, cela pourrait s’expliquer de plusieurs façons :
Tout d’abord, concernant l’écrit, les lettrés japonais ont pendant très longtemps souhaités respecter la tradition chinoise. Donc j’imagine que trop s’écarter de l’idée véhiculée par le caractère n’était pas vraiment conseillé. Il faut savoir aussi qu’il y avait jusqu’à récemment (il faudrait que je revérifie quand précisement) une distinction beaucoup plus nette que de nos jours entre l’écrit et l’oral. Donc quand bien même l’oral évoluait plus vite, cela n’avait pas un gros impact sur l’écrit.
Enfin, je pense aussi au fait qu’il y avait une inter-influence (souvent sous estimée) entre la Chine et le Japon. Certains kango (mots sino-japonais avec une prononciation on) ont été créé au Japon pour ensuite être exporté en Chine (魅力 miryoku par exemple). Donc j’imagine aussi que quand une innovation quelconque jugée pertinente apparaissait dans un pays, c’était repris dans l’autre. Puis lorsqu’on envoyait des ambassades, il me semble que la langue officielle a été pendant un temps au moins le chinois entre la Chine et le Japon. En tout cas, je sais que le Japon a longtemps écrit ses documents officiels en chinois pour que les Chinois puissent les lire justement. On peut ainsi penser que ça aussi, ça a eu un effet sur l’enracinement de l’idée de chaque kanji au Japon.
Cela dit, il y a des exceptions dans le sens accepté par certains mots. J’avais déjà parlé de 勉強 (benkyô) qui ne signifie pas du tout “étude” en Chine.
Toutefois, est-ce que ça a modifié le sens des caractères 勉 et 強 pour autant ? C’est toujours très difficile à déterminer.
En faisant une petite recherche, je suis tombé là dessus : http://leaf-wrapping-lw.cocolog-nifty.com/blog/2014/03/post-dab0.html
En gros, 84% des mots (je sais pas ce qu’ils entendent par “mot” mais c’est pas grave, j’imagine qu’ils parlent des kango) auraient le même sens entre le chinois et le japonais.
2% auraient un sens totalement différents. Ils ne font pas mention des 14% restants, c’est entre les deux peut-être.
On donne souvent l’exemple 愛人 (aijin) qui signifie “maîtresse” en jap et “épouse/époux” en chinois.
Un autre souvent cité est 娘 (musume). “fille” (ma fille) en japonais mais… mère en chinois. Apparemment, il signifiait aussi “fille” en chinois à l’origine puis ça a évolué vers “mère”.
J’ai vérifié les mots chinois composés du kanji 娘 et effectivement, on est plus proche de “mère ” que de “fille” en chinois.
Conclusion : oui, il y a certains “bugs” avec des kango n’ayant pas du tout le même sens entre la Chine et le Japon. Toutefois, cela remet très rarement en cause l’idée véhiculée par le kanji (娘 semble être une exception).
Je reprécise que je ne suis pas un expert sur le sujet, ça mérite pas mal de nuances. Je n’ai pas non plus été lire l’étude en question, les articles que j’ai trouvé citent juste l’université, impossible donc d’accéder à l’article. Je pense que c’est un sujet que je risque d’aborder dans mon livre (histoire du japonais), j’irai sûrement fouiller davantage dans la littérature scientifique à ce moment-là. ^^
Merci beaucoup pour ta réponse. C’est passionant ce système d’écriture, je pense que s’ils gardent beaucoup de similarité c’est aussi parce que la “lecture” 1ere du kanji n’est pas sa prononciation, mais son sens. Au fur et à mesure de leur apprentissage j’ai ce sentiment de reconnaissance immédiate par la forme avant même de le lire ou le prononcer, je pense que c’est normal?
Les divergences/différences pourraient être expliquées par la différence de culture. Un peu comme on peut l’avoir avec les différents signes de main que l’on peut faire. Un pouce levé en Iran entraînera la colère, alors que le même geste en France sera perçu comme positif. On a chacun notre prisme, 愛人 est un bel exemple de prisme légèrement divergent !
Oui, pour le sens des kanjis avant la prononciation, j’imagine que c’est un processus normal. J’ai du mal à me rappeler comment ça s’est passé pour moi dans les débuts mais il arrive fréquemment qu’on tombe sur des mots qu’on connaît parfaitement mais dont on a oublié la prononciation. Et quand les japonais lisent vite en diagonale, ils sautent apparemment de kanjis à kanjis. Donc ils s’amusent pas à prononcer le mot dans leur tête je pense, juste avec les idées suggérées, ça suffit à pas perdre le sens de la lecture.
Sinon oui, les divergences viennent évidemment de la culture et du fait que le japonais n’a que peu de points communs avec le chinois à l’origine (à l’oral je précise car il n’y avait pas de système d’écriture au Japon).
Mais s’ils avaient juste introduit les kanjis de Chine sans s’intéresser à la culture chinoise, les divergences auraient été sans doute bien plus grandes actuellement.
En fait, ils ont pas importé que les kanjis mais ce sont grandement inspiré du système chinois (qui était une sorte de modèle à suivre pendant plusieurs siècles). Notamment pour la politique, l’administration, la religion…
Enfin je vais m’arrêter là car je manque pas mal de connaissances sur le sujet, je risque de dire des bêtises. ^^