L’autre jour en me rendant dans une librairie vendant des livres d’occasion, j’ai ouvert un peu au hasard un livre pour enfant de primaire. Intitulé なぞなぞたんけんたい (nazo nazo tankentai) littéralement “devinette – équipe d’explorateurs”, il contient à chaque page des devinettes classées par thème. C’est franchement ardu puisqu’il faut bien connaître les expressions idiomatiques et avoir un très bon niveau de vocabulaire. Par exemple à la question “c’est un poisson que seul l’ours (クマ kuma) aime”, il fallait répondre… クマノミ (kuma nomi). Il s’agit du poisson-clown dont la prononciation peut aussi dire “seul l’ours” car nomi (のみ) signifie “seul/uniquement”. (ñ_ñ)
Notre mot du jour était la réponse de “かかないとすわれないもの、なーに ? (kakanai to suwarenai mono, nâni ?)“. L’illustration accompagnée (grand-père qui se gratte la tête) suggère que le かかないと signifie “si on ne se gratte pas” (かく kaku = se gratter). Ce qui signifierait alors “si on ne la gratte pas, on ne peut pas s’asseoir, c’est quoi ?”. Eh bien c’est あぐら (agura) “pose en tailleur” pardi ! Avouez que cela vous intrigue hein ? Explications ! 😀
Origine du mot agura et évolution sémantique
Agura s’écrit traditionnellement en kanjis 胡坐 mais comme le kanji 坐 ne fait pas partie des jôyô kanji, on recommande plutôt de mettre 座 à la place. Quoi qu’il en soit, ils partagent tous les deux le sens de “position assise”. 胡 quant à lui fait référence à un ancien peuple chinois (-400 av. J.-C. en gros) dont serait originaire cette pratique de s’assoir en tailleur. Sauf que si vous avez quelques connaissances en kanji, vous constaterez que la prononciation agura ne colle pas. En effet, 胡 se prononce ko (et parfois u) tandis que 座 se prononce za comme dans 座薬 zayaku.
Il s’agit ainsi d’un 熟字訓 (jukujikun) qui s’explique par le fait qu’au départ, on écrivait le mot en kana (あぐら/アグラ) et que les kanjis ont été attribués sur le tard. Pourquoi ? Eh bien parce qu’à l’origine, agura ne désignait pas une façon de s’assoir mais un piédestal que la noblesse utilisait pour s’assoir en hauteur. Il existait alors le verbe アグラヰ (agurau) signifiant “s’assoir sur un agura” et アグム (足組 agumu) voulant dire “s’assoir les jambes croisées (en tailleur)”. En bref, comme on s’asseyait le plus souvent en tailleur sur ce type de piédestal, agura a fini par prendre le sens de “façon de s’assoir en tailleur” et on l’a associé au mot chinois 胡坐.
Au Japon, la façon de s’assoir en tailleur a longtemps été l’apanage des hommes à partir du XIVe siècle jusqu’à récemment. Ce serait en partie lié à un changement de la façon de s’habiller où la pose en tailleur devenait plus “risquée” chez les femmes. Elles ont donc été plus ou moins contraintes de s’assoir en position 正座 (seiza “à genoux”) avec laquelle les parties intimes ne pouvaient être exposées. Par la suite, le seiza a aussi été adopté par les hommes et ça reste encore aujourd’hui la façon la plus “distinguée” de s’assoir. Donc si on colle encore de nos jours une image masculine au agura, cela sous-entend que la femme se doit davantage d’être polie et distinguée. (˘έ˘) ^^;
L’expression usuelle agura wo kaku
Bon, il va falloir que je réponde au quiz d’introduction maintenant. On va faire vite : 胡座をかく (agura wo kaku) signifie tout simplement “s’assoir en tailleur”. Il faut savoir que le verbe かく est assez traître puisque dans certains cas, il a pour sens “avoir pour résultat”, ce qui est proche au final de する (suru “faire”). Par exemple on dit 汗をかく (ase wo kaku) “faire de la transpiration = suer” ou encore 鼾をかく (ibiki wo kaku) “faire un bâillement = bâiller”. 私たちは床に胡座をかいて座った。(watashitachi ha yuka ni agura wo kaite suwatta) : nous nous sommes assis en tailleur sur le plancher.
Ainsi, si on ne croise pas les jambes (胡座をかかないと agura wo kakanai to), eh bien on ne peut pas s’assoir (すわれない suwarenai) si on veut adopter la pose agura. Oui c’est tordu mais j’ai trouvé des quiz pires que ça, je vous rassure. Ce qui est intéressant, c’est que cette expression agura wo kaku possède un autre sens imagé qui rappelle l’expression française “rester les bras croisés“.
En effet, on l’emploie pour une personne ou une entreprise qui ne fait aucune action concrète en profitant de sa position dominante. C’est donc plus proche de “se reposer sur ses lauriers” puisqu’il y a l’idée d’absence d’effort après une réussite (ou une position acquise avec le temps). 胡座をかいていると、どんどん後輩に追い越されてしまうよ。(agura wo kaiteiru to, dondon kôhai ni oikosarete shimau yo) : si tu te reposes sur tes lauriers, tu vas vite finir par te faire dépasser par tes kôhai (autres élèves plus jeunes ou d’un niveau moins avancé).
Sources : ja.wikipédia (infos sur les façons de s’assoir au Japon), dico électronique (phrases d’exemple et explications du Nihon kokugo daijiten sur l’étymologie et l’évolution du mot)
Un quiz ! Un quiz !
Finissons comme d’habitude cet article par un petit quiz. J’espère qu’il vous plaira. 😉